Concepts clefs
Les paradigmes réticulaires, cœur du sujet, se réfèrent aux techniques de la réticularisation à l’ère numérique. Cette notion entretient un lien intime avec d’autres concepts afférents tels que le réseau, la pensée systémique, l’architecture de l’information ou l’hybridité en design. L’objectif de cet article est de dresser un portrait de ces termes, divergents, mais avec des rôles d’exploration et d’exploitation similaires. Toutes ces approches sont centrées sur l’intelligibilité et la communicabilité de nos productions en design et sont à la convergence entre des savoirs et savoir-faire.
Pensée réticulaire
Le mot « réticulaire » provient à la base du monde scientifique qui étudie la nature et son fonctionnement. La nature reste une source d’inspiration infinie pour nous, en tant qu’êtres humains, qui construisons nos sociétés en calquant des modèles et des motifs que l’on peut retrouver dans le fonctionnement de notre environnement. Aujourd’hui, notre société semble se penser de plus en plus sur un modèle réticulaire en accordant une importance toute particulière à la notion d’organisation, de liaison et d’interdépendance. L’idée que les êtres et les choses fonctionnent mieux et se retrouvent renforcés ensemble plutôt qu’isolés, est prônée tout au long de la revue.
La pensée réticulaire permet de comprendre des situations complexes au sein d’une organisation en proposant un raisonnement différent. Sa méthode est issue de la pensée systémique, notion expliquée ci-après, et repose sur les quatre principes suivants :
- connaissance approfondie d’un problème plutôt que résolution immédiate de celui-ci ;
- définition des facteurs d’influence (variables, environnement) ;
- analyse des interactions et des niveaux logiques entre ces variables ;
- solution qui prend en compte tous ces facteurs (pensée systémique).
Paradigme de réseau
La notion de réseau s’est particulièrement développée avec l’expansion d’Internet et des médias. Nous ne pouvons parler de réseau sans parler d’Internet, et vice-versa. En effet, l’essence même d’Internet est la notion de réseau et d’interconnectivité. Ce terrain a favorisé l’essor de la pensée et de la pratique réticulaire. Celui-ci fait référence à la mise en place d’un dispositif complexe qui permet de tisser des liens entre un ensemble d’éléments hétérogènes. De par sa fonction stratégique, le réseau a le pouvoir de mettre en évidence un croisement de relations de pensées et d’intégrer l’interdépendance d’éléments avec une orientation globale. Comme l’avance Daniel Parrochia dans son article « Philosophie des réseaux », aujourd’hui, la notion de réseau est présente partout. Elle définit la mobilité entre les techniques systémiques et fait référence aux interconnexions, entrelacements ou encore circuits entre éléments.
« On veut voir des réseaux partout, on veut mettre des réseaux partout. Le territoire, l’entreprise, l’université, la recherche, s’organisent en réseaux : appartenir à un réseau semble déjà une nécessité, créer un réseau devient un indice de rayonnement. » (Parrochia, 1996)
Pensée systémique
Très proche de la notion de réseau, la pensée systémique, quant à elle, établit qu’il n’y a pas de phénomène isolé. Mais qu’est-ce qu’un système ? Un système est un ensemble d’agents organisés de façon cohérente en vue d’atteindre un objectif. Toute action ou manipulation de ces agents en affecte d’autres, ce qui crée des dynamiques de systèmes complexes. Chacun des éléments qui composent la structure se trouvent à différents niveaux : grâce à sa capacité de compréhension, la pensée systémique répond à ces enjeux de niveaux.
En d’autres mots, la pensée systémique est une méthode à caractère structurel de résolution de problèmes. Elle mobilise la pensée complexe de la mise en relation comme un outil pour prendre des décisions et mettre en place des stratégies. Elle s’intéresse à la façon de communiquer entre les sous-systèmes pour établir des relations et anticiper des comportements. L’aspect fonctionnel de cette approche est la création de flux : tout système est composé de flux qui entrent et sortent et qui le font ainsi évoluer constamment. Pour comprendre l’évolution d’une structure complexe, il faut tenir en compte les agents qui le composent et leur interaction (la circulation des flux entre eux).
La causalité circulaire constitue le cœur d’une vision systémique : toute structure systémique est composée de boucles complexes qui vont amplifier ou stabiliser les phénomènes qui les composent. Dans une approche holistique, l’approche systémique doit prendre en compte le système dans sa totalité plutôt que chaque phénomène de façon isolée ou indépendante, de manière à toujours avoir une vision d’ensemble.
Architecture de l’information
Le terme d’architecture provient du grec ancien, renvoyant à la maîtrise (« arkhós » : le maître, celui qui gouverne) et à la production (« tíktô » : engendrer, produire). Aujourd’hui, « architecture de l’information » correspond à une notion difficile à définir car elle ne constitue pas encore un champ scientifique reconnu en tant que tel. Cependant, elle intègre des dimensions propres aux sciences de l’information et de la communication et s’est développée comme un champ de pratiques professionnelles à partir d’une réflexion théorique. Sa fonction étant de maîtriser la production des contenus d’un dispositif à travers différents moyens de communication, elle se questionne en tant qu’objet et en tant que champ disciplinaire.
La naissance de l’architecture de l’information en tant que champ coïncide avec l’ère de l’information engendrée par les techniques numériques, elle ne peut ainsi être dissociée de l’ère technologique dans laquelle nous nous trouvons. Elle fait partie des approches permettant de lire et d’écrire le réseau, mais aussi de le rendre accessible et intelligible pour tous. Son objectif est lié aux structures qui organisent les existences humaines en elles-mêmes : l’architecture de l’information opère dans l’espace et le temps, conditionnant des flux virtuels.
Dans le contexte des environnements numériques, une des préoccupations centrales de l’architecture de l’information concerne l’expérience utilisateur. Au centre du raisonnement se trouve l’ergonomie, la compréhensibilité et l’utilisabilité de ces écosystèmes. L’architecture de l’information relève ainsi de la création de dispositifs de compréhension et peut être définie en trois axes principaux :
- une conception structurée et organisée des informations ;
- des méthodologies d’organisation et de nomenclatures ;
- des moyens d’intégrer les principes du design et de l’architecture à l’univers numérique.
De par sa logique d’organisation des contenus, l’architecture de l’information est au carrefour entre les pratiques réticulaires et les paradigmes de réseau, notions centrales de notre revue. Cette notion était de plus au cœur de la deuxième édition de Reticulum : n’hésitez pas à consulter le site des rencontres, cité dans la bibliographie, afin d’avoir plus d’informations.
Hybridité
On remarque aujourd’hui une tendance à l’expérimentation de nouveaux contextes de lecture permis et inspirés par ces deux caractéristiques, comme en attestent le salon de l’édition alternative et libre proposé par PrePostPrint ou encore la quatrième session des Écrits du numérique consacrée aux éditions expérimentales. Ces évènements expriment une volonté générale de s’émanciper de la standardisation des formes d’édition due à l’uniformisation des outils de création. Les concepteurs, qu’ils soient artistes, designers, éditeurs ou encore auteurs, s’approprient les outils du Web afin de jouer avec les différentes possibilités et d’expérimenter de nouvelles formes d’édition.
Contrairement à la notion de multisupport, qui propose une déclinaison du même contenu informationnel sur plusieurs supports, l’hybridité, intrinsèquement liée aux pratiques numériques, joue avec les différents paradigmes de navigation rendus possibles par les outils et les méthodologies propres au Web. La notion d’hybride se distingue de celle de multisupport dans le sens où un objet propre au numérique, unique et indépendant, est produit, modifiant profondément les modalités d’interactions et l’expérience de lecture par rapport à une version imprimée.
Un contenu éditorial peut être augmenté en s’hybridant avec d’autres médias numériques (musique, liens, vidéos, images, images interactives), mais aussi par l’ajout de surcouches informationnelles interactives, qui le différencie profondément de la version papier, comme par exemples des indices visuels concernant notre lecture. L’œuvre hybride se veut expérimentale dans sa volonté de décloisonner les genres et explorer de nouveaux univers.