La collaboration entre designers et ingénieurs

La collaboration est primordiale pour un designer qui construit progressivement son profil, en l’inscrivant au sein de nouvelles pratiques en constante émergence. En effet, les capacités intellectuelles, les connaissances, les personnalités ainsi que l’environnement de travail dans lequel s’inscrit un projet, sont des notions décisives et essentielles au sein du processus de création.

Commande et objectifs

Afin d’illustrer l’axe collaboratif, nous avons choisi d’exposer un projet spécifique, mené en collaboration avec les étudiants ingénieurs de l’école des Arts et Métiers de Bordeaux, lors de notre première année de Master design. L’objectif était de mettre en place une démarche de projet dans le cadre du développement d’un produit innovant à partir de la technologie des matériaux à changement de phase. Davantage axé sur une approche d’ingénierie et de gestion de projet, le processus de travail de chacune des équipes a été nourri d’approches théoriques et pratiques, liées à la notion d’innovation. En effet, cette dernière vient enrichir les méthodes de résolution de problèmes complexes par une approche centrée sur l’Homme et ses usages. L’organisation au sein de laquelle se sont développés ces projets possédait des ressources limitées que nous devions prendre en compte, qu’elles soient humaines, matérielles ou financières.

L’approche interdisciplinaire

L’approche interdisciplinaire se distingue d’une approche pluridisciplinaire parce qu’il ne s’agit pas seulement d’analyser l’autre, mais de coordonner deux domaines d’application, de façon cohérente dans une activité de création interdisciplinaire, ressentie par les membres de l’équipe (Lowe, 2002). Ce projet, réunissant les élèves ingénieurs et designers, nous a permis d’adopter un point de vue critique sur le processus de mise en relation dans un projet de design. En tant qu’apprentis, nous étudions au sein d’une université. Les ingénieurs, eux, évoluaient au sein d’une école spécialisée. Les codes et les pratiques ne sont donc pas les mêmes. C’est pourquoi l’approche interdisciplinaire de ce projet assurait une sorte de dépendance entre nos deux disciplines, le design et l’ingénierie, dont les démarches peuvent être interreliées. Cette approche interdisciplinaire avait pour objectif de nous permettre d’affronter les contraintes liées à la technique et aux mathématiques pour les designers, à l’approche créative et à la notion d’expérience utilisateur pour les ingénieurs.

Notre objectif commun était de s’affranchir de ces contraintes, afin de co-créer ensemble, par une démarche de résolution de problème à partir d’une situation particulière. C’est finalement au sein d’un projet de création tel que celui-ci, que nous avons rendu possible la liaison de ces deux domaines. Cette interdisciplinarité peut se démontrer comme l’utilisation, l’association et la coordination de deux disciplines, dans une approche d’intégration d’un problème, dont la question du sens reste l’élément central.

La mise en réseau et la collaboration

Lors de la constitution des équipes, nous avons présenté à l’ensemble des ingénieurs les enjeux du design et les bénéfices qu’offrait la collaboration designer-ingénieur dans le processus de conception d’un projet d’une telle envergure. La collaboration offre un avantage pour créer de l’intérêt, une source de motivation et une mise en réseau optimale des parties prenantes du projet. Les ingénieurs avaient pour rôle de faire partie du bureau d’étude. Ce sont eux qui réalisaient les expertises à caractère scientifique et technique. Leur activité relevait du domaine des services, tout comme le designer, qui s’engageait à démontrer l’importance du design dans le projet, en mettant en place de nouvelles méthodologies de travail, tout en laissant la possibilité à chacun d’être créatif et force de proposition.

En tant que chargé de projet, le designer apportait son aide sur le processus de design en lui-même, en tentant de l’appliquer au sein d’un projet d’ingénierie. Il analysait les besoins, le marché, et plaçait l’utilisateur au centre de chacune des étapes, afin de développer un produit ou un service qui ait du sens, tant pour les membres de l’équipe que pour l’utilisateur final. L’interrelation et la confrontation de points de vue divers, permettait d’établir des méthodes de co-construction de manière réfléchie et cohérente. Malgré le fait que nous occupions chacun des rôles spécifiques, les équipes travaillaient ensemble selon un emploi du temps commun, et avaient toutes pour but de construire une étude de produit selon quatre aspects : le marketing et le design, la conception technique, la construction du business plan et la communication.

Démarche, outils et nouvelles méthodologies

Le projet s’est déroulé en plusieurs étapes pour permettre de prendre en considération le design dans toute sa dimension « projet ». Nous devions apprendre à nous positionner en tant que designer, être en mesure d’utiliser des méthodologies et des outils spécifiques selon le contexte de la problématique pour impliquer les membres de l’équipe, ainsi qu’être en capacité de gérer celle-ci et d’évaluer les livrables pour chacune des phases du projet par les méthodes agiles.

Divers outils et méthodes, jonglant entre conception et création, ont été employés, tels que le brainstorming et les cartes mentales, afin d’adopter un regard critique qui suivait un questionnement épistémologique sur les nouveaux paradigmes du design et ses pratiques professionnelles. La méthodologie du double diamant, largement éprouvée en design, nous a permis d’identifier les quatre grandes phases du projet : la découverte, la définition, le développement et la livraison du produit final. Appliquer cette méthode à un projet d’ingénierie a été complexe, car les approches ne sont pas les mêmes. C’est pourquoi cette méthodologie est une base que nous avons pu modifier et adapter personnellement, en fonction de nos problématiques respectives.

En effet, les pratiques du designer s’exécutent aujourd’hui à travers la collaboration, en lien avec différents corps de métiers. La gestion de projet demande de s’inscrire dans un champ d’intervention spécifique. Ceci permet d’illustrer les interrelations entre les membres d’un groupe hétérogène. L’intégration étant la base de la gestion de projet, elle permet d’appréhender et d’exercer le design comme un processus d’action et de réflexion, permettant d’évaluer les compétences ainsi que les besoins nécessaires pour répondre à une problématique en relation avec les parties prenantes inhérentes au projet.

Le partage des savoirs

L’activité créatrice se développe à partir de la relation entre les individus et leurs univers de travail. Il s’agit donc d’un processus interactionnel qui s’exécute entre les membres de l’équipe et l’environnement technique du projet. Par conséquent, une approche systémique, basée sur les processus dans lesquels la créativité individuelle et sociale se renforcent mutuellement, est nécessaire pour améliorer la créativité.

#331

La créativité ne se résume pas à une seule de ses composantes, mais consiste à guider les diverses interactions entre elles. Cette créativité, sociale par essence, permet de partager des émotions et des expériences nouvelles. En tant qu’étudiants, préparer un projet interdisciplinaire nous permet de nous concentrer sur « comment apprendre », c’est-à-dire sur le développement de sa méthode personnelle de collecte de données et son processus de résolution de problèmes. L’interdisciplinarité permet donc l’intégration et le partage des savoirs. Elle facilite la création de liens et le transfert des connaissances entre les disciplines, et semble permettre un meilleur apprentissage de la méthode projet de façon globale.

Enjeu du métier de designer

Ce projet collaboratif nous a permis avant tout de nous confronter au réel enjeu du métier de designer, qui se construit par le développement de sa capacité à travailler en interrelation, au sein d’équipes pluridisciplinaires, et à s’adapter pour maîtriser différents domaines d’application en lien avec les enjeux sociétaux actuels. Adopter un point de vue interdisciplinaire permet de porter un nouveau regard sur sa discipline. Les projets tels que celui-ci offrent une connaissance plus enrichie du sujet, une ouverture d’esprit sur ce que les autres disciplines peuvent nous apporter de bénéfique, et enrichir notre perception du rôle de chacun.

En effet, ce projet nous a permis d’effectuer un apprentissage plus réel et concret, en nous confrontant aux autres profils et autres référentiels. À long terme, cela contribuera à renforcer le potentiel de chacun, dans une perspective de multiplication des compétences dans divers domaines, de manière plus significative, afin de pouvoir faire face aux situations et aux problématiques quotidiennes que nous rencontrons. Nous avons favorisé la pensée critique, l’esprit de synthèse, et avons intégré des compétences réflexives sur la compréhension de notions techniques complexes propres à l’ingénierie.

Bibliographie

  • LOWE, Anne, 2002. La pédagogie actualisante ouvre ses portes à l’interdisciplinarité scolaire. Éducation et francophonie [en ligne]. 2002. Vol. XXX. [Consulté le 14 janvier 2021]. Disponible à l’adresse : https://www.acelf.ca/c/revue/revuehtml/30-2/08-lowe.html